Voici un autre symbole puissant de l'iconographie médiévale. L'image de la mort montée sur un cheval et tenant une faux, piétinant dans leur chute des corps de rois, de papes et de cardinaux. Ainsi apparaît-il dans le Tarot de Charles VI et dans le Minchiate. On voit une figure analogue dans le Tarot des Visconti, mais cette fois La Mort est debout et tient un arc. A ce sujet, Van Rijnberk nous apprend que la faux est apparue assez tardivement dans l'iconographie, et cette Mort à l'arc est la figure opposée du Cupidon sur la carte de L'Amoureux.
Plus intéressante est l'observation relative au fait que La Mort n'est pas entièrement décharnée (dans le Tarot de Charles VI, La Mort est même habillée). Cette façon de voir n'était pas rare à l'époque, d'autant moins qu'elle manifeste mieux qu'un squelette entièrement décharné ce passage entre deux états de l'existence qui est le propre de la mort.
Bien entendu, il convient d'évoquer au passage le numéro consacré à cette lame. Le numéro 13, de mauvais augure. On a l'habitude d'expliquer la croyance populaire selon laquelle il ne fait pas bon être treize à table par le fait qu'à la sainte Cène, le Christ et ses apôtres étaient précisément treize. Mais de nombreux exemples pourraient être cités comme quoi, au contraire, ce nombre porte bonheur. C'est que, pour beaucoup, la mort n'est qu'un passage conduisant à une vie meilleure. Si l'on considère le nombre 13 comme égal à 12 + 1, on se trouve bien au point de départ d'une période nouvelle pleine de promesse et non à un terme désastreux.
Cette façon de voir est confirmée par de nombreux occultistes. Oswald Wirth, en particulier, développe largement ce thème « Loin de tuer, la Mort revivifie en dissociant ce qui ne peut plus vivre... Le profane doit mourir pour renaître à la vie supérieure que confère l'Initiation. S'il ne meurt pas à son état d'imperfection, il s'interdit tout progrès initiatique. Savoir mourir est donc le grand secret de l'initié... »
Si cette lame ne pose pas de problèmes difficiles, un détail est à noter cependant : le sens dans lequel fauche la mort : Wirth retourne en effet l'image du Tarot de Marseille qui était celle d'un « droitier ». Il écrit : « Contrairement à l'usage courant, le Faucheur du Tarot fauche à gauche... Grâce à cette anomalie, le squelette et la faux dessinent un Mem hébraïque... » Ou bien Wirth disposait d'une édition d'un Tarot de Marseille ancien où la mort fauchait effectivement à gauche, ou bien il a imposé cette interprétation pour les besoins de sa thèse. Ce n'est pas impossible. La tentation est grande de faire coïncider artificiellement désirs et réalités - surtout quand on dessine son propre jeu !
Traditionnellement, cette lame ne porte pas de dénomination imprimée. Pour cette raison, certains interprètes l'ont mise en parallèle avec Le Mat, qui lui, porte bien un nom mais pas de numéro. Mais cette relation ne semble guère fondée. L'interprétation selon laquelle La Mort est un passage la rend naturellement tributaire des cartes qui vont l'accompagner ; c'est également le cas de L'Amoureux et du Pendu. Comme La Roue de Fortune, comme Le Pendu aussi, La Mort symbolise un changement ; un changement de nature initiatique, comme de nombreux cultes nous le rappellent.
Dernier détail, dans le Tarot de Marseille le personnage de La Mort n'a qu'un seul pied visible. Wirth en cache également un, mais non pas Falconnier ni l'imagerie populaire suisse. Paul Marteau note ce fait en disant que si La Mort n'a qu'un pied, c'est pour préciser qu'elle implique un déséquilibre et ne peut agir que sur le plan physique et non sur l'esprit ; elle n'est pas une harmonie mais une conséquence. Cette conclusion est peut-être hasardeuse, mais il n'empêche que l'occultation du pied laisse rêveur.
Sur un autre plan, il est difficile de rester insensible au fait que La Mort succède au Pendu, c'est-à-dire à la naissance. En XII, nous avions une naissance à la vie et ici la naissance en une autre vie.