L'amateur qui considère la suite des lames majeures du Tarot comme les étapes d'une initiation arrive au terme de son périple. Celui qui, inversement, considère globalement l'ensemble des images, parvient là au centre. De toute façon, cet atout est essentiel, qu'il soit terme ou synthèse.
Les figures anciennes montrent une véritable représentation du monde à l'intérieur d'un cercle, comme il était courant au Moyen Age. Le Tarot de Charles VI propose un paysage sur un nuage, surmonté d'un personnage tenant le globe et le sceptre. Image que l'on a parfois confondue avec celle de La Fortune. Le Tarot des Visconti montre un couple de jeunes garçons soutenant un disque plus élaboré que le précédent car il synthétise les quatre éléments : l'eau de la mer, la terre de l'île et de la ville, l'air des cieux et le feu de lumière des étoiles. A noter que les deux personnages, portant des ailes, sont davantage des anges que des gémeaux.
Même thème dans le cosmos du Tarot de Mantegna.
Le Tarot de Marseille apporte une transformation dans l'image, mais non dans sa signification, puisque le personnage, au lieu de dominer le monde ou de le tenir dans ses mains, est enfermé à l'intérieur et que les quatre éléments, sous forme des évangélistes, se trouvent clairement symbolisés aux quatre angles par des symboles connus.
Le personnage à l'intérieur de la guirlande est androgyne. Il se trouve dans un ovale qui rappelle l'oeuf primitif et qui parait bien être né en Inde, comme le rappelle Van Rijnberk : « On trouve déjà dans l'époque hellénistique des images de Mithra, le soleil radieux, représenté comme un jeune homme nu dans une guirlande ovale où sont figurés les douze signes du Zodiaque. Dans un bas-relief trouvé à Modène, on voit un Kronos mithriatique dans une guirlande zodiacale dont les quatre coins portent sculptées les figures des vents... ».
Au Moyen Age, cette auréole ovale entoure souvent le Christ, la Vierge et d'autres saints. C'est un symbole de gloire et de lumière mais aussi de la vie elle-même, et le rapport avec le sexe féminin, qui ne manque pas d'être fait à toutes les époques, est évident. Les quatre vents marquent les quatre points cardinaux et se trouvent aussi bien chez Homère que dans la Bible. Ezéchiel lance l'image fulgurante des quatre animaux dont Saint Jérome, au IVe siècle, fait l'emblème des évangélistes. A partir de là, l'imagerie ne cessera de les représenter sous cette forme, avec les correspondances suivantes :
Taureau
Luc
Terre
Lion
Marc
Feu
Homme
Matthieu
Eau
Aigle
Jean
Air
Il faut observer que la disposition des éléments autour de l'auréole n'a pas toujours été celle dont nous avons l'habitude aujourd'hui. Dans les premiers siècles, le Taureau prenait souvent la place du Lion, et inversement ; ou bien l'un des deux figurait dans la partie haute. Mais un détail du Tarot de Marseille nous intrigue : la curieuse figure du Taureau qui ressemble en fait à un cheval. On conçoit qu'il ne porte pas d'auréole, puisqu'il s'agit d'un être terrestre mais l'absence de cornes et la présence de feuillages en collier étonne.
Wirth revient au lien avec la Roue de Fortune en faisant la distinction suivante : « La jeune fille qui manie les baguettes magiques représente la Fortune majeure des géomanciens. A ce titre, elle promet mieux que les petits succès éphémères de la Fortune mineure dont la roue est celle de l'arcane X ». Il est vrai que la femme du Tarot de Marseille, en déséquilibre sur son pied droit, est fort différente de la femme bien d'aplomb sur le cercle du Tarot de Charles VI.
Pour Court de Gébelin, cette carte a été mal nommée et devrait s'appeler Le Temps : « Ce tableau que les cartiers ont appelé Le Monde, parce qu'ils l'ont considéré comme l'origine de tout, représente le Temps. On ne peut le méconnaître à son ensemble. Dans le centre est la déesse du Temps, avec son voile qui voltige et qui lui sert de ceinture ou de péplum, comme l'appelaient les Anciens. Elle est dans l'attitude de courir comme le Temps, et dans un cercle qui représente les révolutions du Temps ainsi que l'oeuf d'où tout est sorti dans le Temps. Aux quatre coins du Tableau sont les emblèmes des quatre saisons, qui forment les révolutions de l'année... ». Une fois de plus, on observe les manières différentes dont il est possible d'interpréter une même image. Nous avons rencontré le temps il y a un instant sous la forme du Kronos mithriatique ; Court de Gébelin le retrouve à sa manière.
Alors, est-ce le temps enfin suspendu dans un espace idéal ? On le croirait, à lire les interprétations parlant d'élévation suprême. Ainsi Pitois : « Une couronne d'or, fleuronnée de sept étoiles, et placée dans un carré dont un lion, un taureau, un homme et un aigle occupent les angles c'est le symbole de la plus haute élévation à laquelle un homme puisse aspirer. Talisman suprême de la Fortune, cette couronne lui annonce que tous les obstacles s'effaceront de sa route et que l'ascension de ses Destins n'a de limites que celles de sa Volonté. »
Paul Marteau ira plus loin encore en écrivant : « Cette lame signifie l'illumination psychique et spirituelle dans une harmonie manifestée par l'équilibre clairement visible dans la disposition des éléments de la lame. Elle symbolise la perfection de l'homme dans l'universel, son triomphe sur la matière, sa puissance sur la nature...».
Avec cette vingt et unième lame, le Tarot achève son cycle. On a noté l'importance du nombre 21, somme des six premiers nombres, produit de 7 par 3, mais aussi, comme pour marquer sa valeur cosmique par la présence du nombre quatre, résultat de l'opération : 1 + 4 + 4².
Alors l'unité, comme un caillou jeté dans l'eau, crée des ondes qui se propagent en formant à leur tour d'autres ondes dans un mouvement dont on n'imagine pas le terme. C'est la force de suggestion de cette image d'amorcer cette pensée.