L'existence d'un pape du sexe féminin est une légende qui connut une grande faveur au Moyen Âge. Cette papesse aurait occupé le trône de saint Pierre durant plusieurs années. Diverses sources peuvent être mentionnées à ce sujet, mais elles diffèrent les unes des autres et sont d'ailleurs très postérieures à l'événement supposé. Marianus Scotus Minorita, mort en 1086, mentionne le fait pour l'année 854 ; de même Sigebert de Gemblours, mort en 1112 ; tandis qu'un Jean de Mailly ou un Martin Polonius la font vivre à une autre époque. En réalité, il semble bien que la légende n'ait pas de fondement historique, malgré son succès. Il n'est pas impossible que les auteurs du Tarot s'en soient souvenus. Pour compliquer l'affaire, une Manfreda Visconti, apparentée à la famille des propriétaires du Tarot, fut élue effectivement papesse par une secte - ce qui lui vaudra d'être envoyée au bûcher en 1300. On peut voir là une autre source de l'existence de La Papesse du Tarot qui reste un personnage énigmatique.
Une autre hypothèse est plus vraisemblable; elle consiste à faire dériver La Papesse des nombreuses représentations de Sibylles ou de celles de La Sophia ou de La Philosophie, toutes nombreuses au Moyen Âge. Les Sibylles sont des prophétesses dont Lactance et saint Augustin, aux IIIème et IVème siècles, furent les vulgarisateurs en leur faisant jouer un rôle précis dans l'annonce d'un dieu unique. Pour Lactance, elles sont dix, comme les prophétesses de l'Antiquité. Saint Augustin, pour sa part, n'en mentionne qu'une mais en lui conférant une mission capitale : elle devient médiatrice entre le paganisme et le christianisme.
Dans le Tarot, ne l'oublions pas, La Papesse est liée à la figure du Pape, comme L'Impératrice l'est à celle de L'Empereur ; c'est assez souligner combien la femme joue un rôle éminent dans ce jeu. Même si l'auteur du Tarot des Visconti se référait à une tradition familiale d'une papesse hérétique ou à la légende de la papesse Jeanne, il n'en reste pas moins qu'il a figuré celle-ci selon le canon habituel de l'iconographie des Sibylles ; telle qu'on la trouve, par exemple, sur les gravures de Baldini : assise de face, tenant une épée ou une lance dans la main droite, et un livre dans la gauche. Prophétesse, mais également médiatrice, comme le sont d'autres figures de femmes ou de mères. Sur certains jeux, Le Pape et La Papesse sont remplacés par Jupiter et Junon. Modification assez tardive, peut-être introduite pour éviter des représentations du pape dans un jeu, représentations qui pouvaient paraître irrévérencieuses aux yeux de certains. Les interprètes modernes font de La Papesse, issue de l'articulation entre les mondes antique et chrétien, une véritable déesse de la Science. Curieusement, Pitois, Falconnier ou Waite retrouvent par l'intuition, ou par la connaissance de racines ésotériques parallèles, une articulation du même ordre. On remarque, en effet, que les deux colonnes encadrant la figure sont différentes sur les images qu'ils proposent, et Falconnier écrit : « La science occulte entre deux colonnes du temple qui représentent le Bien et le Mal est couronnée du croissant lunaire et la face voilée, ce qui signifie que la vérité n'est pas visible pour le profane… »
Carte de la connaissance, cette deuxième lame du Tarot transposée par les uns en Junon, par les autres en Isis, manifeste la région des idées pures. Si les occultistes identifient La Papesse à Isis, c'est sans doute aussi en se référantà la description de la statue de la déesse à Saïs faite par Plutarque qui rapporte la phrase gravée sur son socle dans les termes suivants : « Je suis tout ce qui a été, tout ce qui est et tout ce qui sera, et mon voile, jamais aucun mortel ne l'a encore soulevé ». Etrange formule.
Par rapport au Bateleur, cette figure est liée au Pape, comme L'Impératrice l'est à L'Empereur ; elle forme un couple évident alors que Le Bateleur est isolé, même si on peut le rapprocher du Mat. Mais d'autres figures vont par séries : Des vertus (La Justice, La Force, La Tempérance) ; des planètes (L'Etoile, La Lune, Le Soleil). Ainsi indépendamment des rapports que l'on peut déterminer en formant des combinaisons calculées, d'autres existent de façon claire dont il faut tenir compte. Ici La Papesse ne peut être considérée isolément. Comme il existait un rapport Sibylle-Prophète, le couple mystique Papesse-Pape forme un tout. Après seulement, chaque symbole trouve son autonomie.